Performants ou robustes?
Il n’y a pas de mot pour représenter le type de chiens de traîneau présents dans les structures professionnelles. J’utiliserai donc le terme « chien d’école » en empruntant le vocable au monde de l’équitation.
Dans les représentations du mushing, le chien d’école est plutôt regardé comme un « sous-chien de traîneau » car il ne rentre pas dans le modèle de la performance et de la compétition, qui reste le modèle dominant du système français et de nombreux autres pays européens. Le chien d’école répond à des critères de robustesse qui s’oppose à ceux de la performance. En utilisant le concept de robustesse développé par Olivier Hamant*, j’essaierai de définir plus précisément quelles pourraient être les qualités et compétences de ces canidés qui autorisent les structures professionnelles du mushing à tendre vers le soin et non vers le gain de productivité.
« La robustesse se construit contre l’efficacité et l’efficience »
Olivier Hamant dans son essai « Antidote au culte de la performance », définit la performance comme la somme de l’efficacité (atteindre son objectif) et de l’efficience ( avec le moins de moyen possible).
Selon l’auteur, la performance « ouvre la voie de l’optimisation et de la compétition. Dans un monde stable et abondant en ressources, cette performance peut faire sens ».
La robustesse, toujours selon Olivier Hamant, « permet la viabilité dans un monde instable et en pénurie de ressources. On la trouve d’ailleurs dans la plupart des écosystèmes terrestres, précisément parce qu’ils ont un ou plusieurs facteurs limitants. La robustesse ajoute des marges de manœuvre, stimule la coopération et explore des voies alternatives pour pouvoir faire face aux imprévus. La robustesse se construit donc contre l’efficacité et l’efficience. Elle est la réponse opérationnelle dans un monde turbulent ».
« Tout chien d’attelage peut rentrer dans la catégorie chien d’école »
Un type de chien
Le chien d’école de traîneau ne relève pas d’une production spécifique. Il n’est pas apparenté à une race particulière. Il devient « d’école » par une somme de hasards ou parce qu’il est né dans une structure professionnelle désirant ce type chien. Il peut donc être le fruit de rencontres avec des éleveurs de chien de race, de parcours individuels dans le monde du sport et de la compétition. Certains mushers, souvent au démarrage de leur activité, adoptent dans les refuges des huskies de Sibérie. Ces professionnels construisent leur éthique et leur image sur le modèle de la deuxième chance. Cette deuxième chance est aussi offerte à certains canidés qui ne relèvent pas le défi de la performance en compétiton et sont cédés à des structures professionnelles. Tout chien d’attelage peut rentrer dans la catégorie « chien d’école ».
Les alaskans huskys de lignées américaines et scandinaves semblent composer une partie importante des chiens présents dans les structures professionnelles aujourd’hui. Ces alaskans sont parfois croisés aves des Groenlandais, des eurohounds, des huskies de Sibérie.
Quelques rares professionnels n’ont dans leur équipe que des représentants d’une ou deux races, majoritairement des huskies de Sibérie et quelques groenlandais. On retrouve ça et là quelques samoyèdes, des laïkas de Yakoutie et beaucoup plus rarement des malamutes d’Alaska. Il n’y a pas d’enquête à ce sujet et il s’agit plus de constats personnels, d’informations glanées sur le net, d’observations et de rencontres avec des professionnels.
Certains mushers, adeptes de la compétition, spécialisent quelques chiens de leur équipe sur des formats de course mais il est difficile de dire si ces chiens rentrent dans la catégorie des « chiens d’école » et s’ils accompagnent toutes les activités d’attelage canin proposées par l’entreprise.
Des croisements sont aussi effectués avec des labradors, des borders collies, des bergers australiens, des bergers belges… La recette mirâcle et globale n’existe pas. Elle est toujours locale, un peu hasardeuse, corrélée à des paramètres très nombreux et relevant plutôt des trajectoires de vie de chaque musher.
En France, la stratégie d’élevage des chiens de traîneau est principalement orientée vers la performance et la compétition. Toutetefois, cette production reste marginale. Bien souvent, il suffit de lire les annonces de vente des éleveurs professionnels ou occasionnels pour voir que le palmarès ou la génétique de champions gagnants des courses de traîneau est un argument de vente majeur. Les prix de vente des alaskans huskies en France deviennent d’ailleurs comparables à ceux des races nordiques inscrits au livre des origines. Cette stratégie du haut niveau oriente globalement toute la production mais il faudrait voir quel est le pourcentage réel des chiens produits qui intègrent des structures compétitives de haut niveau. Il est fort probable que ce pourcentage soit assez faible et qu’un grand nombre d’entre eux, aux pedigrees de champion, ne voient que rarement des aurores boréales et dépassent les runs de 50 kilomètres. La performance motrice des chiens est vendue comme qualité première. Pour autant, est-ce ce que l’on attend d’un bon chien d’école ?
Bien évidemment les qualités motrices à l’attelage sont importantes mais le champion finisher ou gagnant d’une grande course de traîneau ne cochent pas toutes les cases dans une structure professionnelle accueillant un public varié.
« Le chien d’école se construit sur ses points faibles »
L’adapté et l’adaptable
L’hyper spécialisation des chiens de traîneau conduit à les envisager et les décrire (reproduction, éducation, entraînement, soins) sous l’angle d’un renforcement des points forts pour tendre vers l’objectif. En somme il s’agit d’une plus grande adaptation vers l’objectif visé. Même chez l’alaskan husky (type de chien construit à partir d’un brassage génétique important), la focalisation génétique sur quelques champions de grandes courses de longue distance commence à créer des impasses en reproduction.
A contrario, le chien d’école de traîneau se construit sur ses points faibles, là où, comme le dit Olivier Hamand il y a … « du jeu dans les rouages pour augmenter les marges de manœuvre, créer de nombreux liens, nourrir la diversité des solutions face à l’imprévu. » Sa robustesse s’envisage à partir du socle que constituent les facteurs limitants de la structure professionnelle dans laquelle il évolue. Plus la structure diversifie ses activités, plus le chien doit faire preuve d’adaptabilité et donc plus il est robuste. Plus il est robuste moins il est performant car il a multiplié les voies motrices, énergétiques et psychologiques nécessaires aux aléas des situations rencontrées.
Le musher professionnel en France, s’il produit ses propres chiens, sort régulièrement de l’étude stricte des pédigrees. Il s’appuie bien plus sur les phénotypes et son intuition, sur des caractéristiques psychologiques, un idéal du chien d’école envisagé pour lui et sa propre pratique. Dans cette optique, involontairement, il entretient une diversité génétique nécessaire et salutaire. ( voir J.Jeffrey Bragg*)
L’adapté (Le performant) est « très spécialisé dans la voie choisie mais avec un coût énergétique important et en renonçant à des compétences jugées inutiles pour gagner en vitesse »
L’adaptable (Le robuste) « ne peut pas aller vite parce que de nombreuses ressources sont utilisées pour maintenir des compétences inutiles à court terme mais potentiellement utiles à long terme. »(Olivier Hamant)
Le groupe de chiens d’école
L’adaptabilité du chien d’école, donc sa capacité à répondre à la fluctuation des situations rencontrées, ne lui permet pas de s’engager de manière optimum dans tout ce qui lui est proposé mais plutôt de manière satisfaisante. Ses qualités sont proches, même si les contextes diffèrent, de celles recherchées chez les chiens dits primitifs par les peuples autochtones des régions arctiques : Autonomie, endurance, adaptabilité aux aléas de vivants engagés dans la survie, sociabilité avec les humains. Chez le husky de Sibérie, les éleveurs-compétiteurs de course de vitesse ont d’ailleurs tenté de gommer peu à peu cette caractéristique, reprochant à ces chiens de s’économiser dans l’effort.
Créer son groupe de chiens pour une entreprise de mushing prend du temps. Pour les mushers vivant exclusivement de la balade touristique en baptême, le panel de canidés disponibles est plus important car ce qui leur est demandé relève d’un apprentissage accessible à beaucoup.
Dans les écoles de traîneaux où se mêlent initiation à la conduite d’attelage (en traîneau, vélo, trottinette), raid, cani-randonnée avec des scolaires ou en loisirs, baptême avec des publics variés et parfois activités de médiation animale, le choix des chiens peut relever d’autres stratégies.
S’il est parfois intéressant d’avoir des compagnons d’attelage très dynamiques, volontaires et puissants, l’initiation à la conduite ou la canirandonnée nécessite pour eux d’autres qualités que la force, la vitesse, la souplesse. Le mythique « will to go » est bien évidemment entretenu mais il ne suffit pas à faire un bon chien d’école. La compétence comportementale première est son adaptabilité, c’est à dire sa capacité à répondre à des situations variées et aléatoires.
La féminisation croissante de la profession oriente la pratique vers un rapport différent aux chiens. Ces approches valorisent la relation positive et bienveillante, le soin et la reconnaissance des émotions. Cependant, la domination, la maîtrise technique, le fonctionnement militaire, la compétition, la fable de la meute et de son chef, le rapport utilitaire à l’animal, la valorisation de la performance sont encore bien ancrés dans le monde du mushing. Ces discours alimentent encore les formations professionnelles, les clubs et les fédérations. qui peinent à intégrer dans leur pédagogie ou leur politique les recherches en anthroplogie ou en éthologie sur le lien homme-animal.
L’entraînement physique du chien d’école
L’entraînement physique du chien d’école ne diffère pas vraiment de celui qui fait de la compétition. Les intensités, les durées et les distances varient mais ces modèles sont très proches. Il n’est pas rare aujourd’hui de voir des mushers professionnels s’engager dans des courses avec des chiens de leur propre structure. En règle générale ces équipes sont plutôt jeunes et les formats de course choisis sont adaptés au niveau de leur entraînement, tout comme aux périodes d’influence touristique de la saison d’hiver.
Dans une structure professionnelle, l’entraînement physique se prépare en amont des saisons de manière plus spécifique. Il s’adapte aux conditions météorologiques (chaleur, humidité) et varie d’intensité. Cependant, la sollicitation physique et cognitive des chiens est permanente. Le jeu doit y occuper une place centrale et l’ambiance générale cherchera à cultiver les relations de type affiliatif (inter ou intra spécifiques).
« Penser son chien à partir d’un référentiel pédagogique »
La formation du chien d’école
Le chien d’école va apprendre ce que l’on attend de lui dans l’action même et la mise en situation. En quelque sorte « sur le tas ». Sa formation est continue et intégrée à la pratique. Ce sont les qualités du musher-enseignant qui vont permettre d’accorder les chiens entre eux, à l’activité et aux élèves : Exercer son œil, connaître ses chiens, évaluer les attentes ou niveau de ses élèves/participants, savoir adapter la situation et les dispositifs d’apprentissage pour faire progresser l’élève et protéger ses chiens des maladresses des débutants, créer une ambiance et des espaces qui permettent au chien de réaliser ses apprentissages de manière progressive et sans stress négatif.
Constituer une équipe « pédagogique « de chiens d’école est plutôt difficile au départ car le groupe de canidés n’a pas de références et quelques années sont nécessaires pour qu’une culture singulière du groupe humain-canin s’ancre et fasse sens pour tous. Dans un groupe constitué, les nouveaux chiens d’école apprennent par mimétisme et immersion dans une culture hybride (homme-animal) bien en place. Le musher s’appuie aussi sur des chiens-enseignants qui vont être des facilitateurs d’apprentissage. Dans tous les cas, cela nécessite sur le long terme de penser son groupe à partir d’un référentiel pédagogique et non d’un référentiel de performance. Ainsi, le chien est immergé dans un collectif où l’information dont il a besoin est accessible dans son lieu de vie. Il s’agit d’un apprentissage actif et non d’un enseignement descendant.
Son autonomie, sa capacité à faire des choix, cette forme d’éveil permanent doit aussi régulièrement bénéficier de ce que Marion Vicart* appelle des « bonheurs tièdes ». Ce sont des moments où chiens et humains, tout en partageant un espace commun, sont dans leur propre existence, sans véritable interaction.
Pour Marion Vicart, ces instants de « bonheurs tièdes » ne « s’expriment pas par des tensions ou des passions ferventes comme l’exercice d’une activité extrême ou lors d’un évènement singulier ». Ce sont des moments sans enjeu particulier, pendant lesquels l’interaction est indirecte car chacun vaque à ses occupations dans une ambiance confiante et bienveillante.
Critères d’appréciation du chien d’école
Certains critères, semblent pouvoir être retenus pour évaluer les qualités d’un chien d’école (non exhaustif, puisque, comme précisé plus haut, les compétences sont locales et situées) :
– La polyvalence : Le chien d’école doit asssimiler un regristre plus important de compétences liées à des types d’activités différentes (traîneau, vélo, trottinette, kart, cani-rando), à des rencontres et des contacts avec des publics variés (enfants d’âges différents, adolescents, adultes, sportifs, en situation de handicap, séniors etc…), à des contextes différents de groupe (classe de découverte, centre de loisirs, comité d’enteprise, manifestation sportive, dispositifs de réinsertion, de prévention etc…), à des objectifs différents (découverte, initiation, raids, formation, relation), à des environnements différents (naturels ou citadins), à des motricités différentes (marche, trot, galop), à des rythmes variés (un baptême peut s’effectuer à allure plus ou moins constante et avec peu d’arrêts, c’est aussi vrai pour le raid. Pour l’initiation à la conduite et la cani-randonnée les arrêts sont plus fréquents).
La confiance : Confié à des apprentis mushers, le chien d’école, leader d’équipe ou non, doit pouvoir évoluer dans un attelage différent de celui mené par son musher. Il doit pouvoir le doubler sur une piste et mener sans se retourner. La confiance s’installe dans les variations et les aléas de la vie quotidienne, dans un jeu où l’autonomie du chien se conjugue avec la responsabilité et l’amour du musher.
–La sociabilité : souvent immergé dans des environnements différents, le chien d’école en situation de travail doit être plus ou moins indifférents aux rencontres intra-espèces (autres chiens) ou inter-espèces (gibier) et rester concentrer sur sa tâche. Dans sa relation avec l’humain, il est accueillant et en confiance dans les moments de contact et d’interaction.
–La capacité à évoluer en liberté : La possibilité de lâcher ses chiens dans un grand nombre de situations développe la confiance réciproque chien-musher. Elle permet aussi d’orienter les situations pédagogiques vers l’apprentissage et non vers la sécurité. Elle offre au chien une récréation dans un contexte de travail. Elle autorise aussi une gestion plus facile de tout problème technique nécéssitant un arrêt ou une pause. Elle facilite les tâches quotidiennes ou le déplacement des chiens hors du chenil. Elle oriente la relation vers l’autonomie et la responsabilité et non vers la dépendance et l’obéissance.
– La capacité à lire les situations motrices et à répondre en fonction : Cette capacité de réponse du chien dans un contexte d’apprentissage est une des qualités fondamentales du chien d’école. Elle n’est pas toujours facile à évaluer lorsque les chiens sont plusieurs à l’attelage On peut mieux l’apprécier dans les pratiques dites de mono-chien.
Le chien d’école va faciliter l’apprentissage de l’activité car il va répondre à une demande de l’élève. Il va soutenir l’apprenti-musher dans sa difficulté. Il s’agit d’un impératif de justesse dans la réponse. Cette justesse demande de reconnaître au chien une subjectivité, de le considérer donc comme un sujet dont l’activité s’organise dans l’action et la perception associées. (Voir le concept d’Umwelt de Von Uexküll)
La cani-randonnée, par exemple, contraint le chien à évoluer au pas et à s’adapter à la marche d’un humain. Cette situation contribue à une prise de conscience plus large pour le chien de son propre corps. Elle enrichit sa perception de l’humain car chaque personne a une façon différente de marcher. La marche permet d’étirer la boucle sensori-motrice du canidé et de retarder sa résolution motrice favorite (trot-galop). Cette situation l’autorise à développer un agir sur la base de nouvelles perceptions et d’y intégrer la présence d’un humain. Si l’un des intérêts majeurs de la cani-randonnée est l’accordage physique et émotionnel du binôme, le rôle de facilitateur du chien, parfois imperceptible, est essentiel. Un exercice que je pratique régulièrement avec les groupes en canirandonnée est la marche à l’aveugle : Evoluer avec le chien en sécurité tout en fermant les yeux. C’est un atelier qui, au-delà d’un exercice de confiance, permet de mieux connaître la capacité du chien à lire une situation motrice et à y répondre. Dans ce contexte, l’humain est privé d’un sens majeur, la vue. Immédiatement sa marche se modifie. Elle est moins assurée. Le chien d’école, relié à l’humain par sa longe, perçoit immédiatement ce changement et va adapter son allure ainsi que sa façon de tirer à la situation. A partir de sa perspective de canis familiaris, le chien d’école répond et bien souvent avec justesse. (voir l’article sur la cani-randonnée coopérative)
« Une voie préparant une transition des entreprises du mushing »
Des structures professionnelles engagées vers le soin
Les groupes de chiens vivant ensemble et développant des relations quotidiennes affiliatives offre un formidable outil pédagogique pour sortir d’un logique de performance et participer activement à l’émergence d’un modèle économique orienté vers le soin des personnes, des territoires et des liens. Bien souvent, j’ai vu des mushers ne sachant pas quoi faire de la ressource première et inépuisable dont il dispose : L’émotion.
Soigner de manière indirecte et involontaire est une des caractéristiques des entreprises de traîneau. En effet, elles offrent à des clients-participants un temps et un espace de bien-être, dans des vies soumises à l’injonction de gain de productivité et de plus en plus au burn-out. Bien souvent, le constat d’émotions fortes partagées avec les canidés est là, comme une évidence. Faute de compétences ou d’intérêt, le musher focalise toutes les dimensions de son activité, toute l’organisation, toute la pédagogie autour de l’attelage. Présenter un chien de traîneau uniquement à travers ses caractéristiques de trait, c’est l’amputer d’une grande partie de ce qu’il est et le réduire à une fonction.
La dynamique globale des structures professionnelles n’a pas encore intégré les enjeux environnementaux visibles et impactant fortement l’activité depuis de nombreuses années. Chacun s’adapte comme il peut dans une logique individualiste, opportuniste et de pré carré. Penser son entreprise comme participant à la régénération et la protection des milieux ainsi qu’au tissage de liens avec les habitants humains ou non-humains offre une voie bien plus ouverte et durable aujourd’hui que la logique de rentabilité fondée sur le tourisme de masse.
Certains mushers orientent parfois une partie de leur activité vers la médiation animale et utilisent ainsi les capacités de « créateurs de liens » et de « passeurs d’émotions » de certains canidés.
A terme, soigner, c’est aussi vérifier si l’entreprise passe le test d’une totale robustesse, c’est à dire d’une résistance aux fluctuations et aux évènements aléatoires, qui est la caractéristique des sociétés contemporaines. ( Par exemple, que se passe-t-il si l’industrie de la croquette ne peut plus fournir l’alimentation de mes 30 chiens ? )
Engager sa structure professionnelle sur le chemin de la robustesse, c’est veiller à ce que les actions, les produits et « les projets dont elle est porteuse alimentent la santé physique et mentale des humains, la santé sociale et la santé des milieux naturels »(Olivier Hamant). Tout cela en même temps. Ce peut être une voie préparant une transition des entreprises du mushing qui, à défaut de l’anticiper, s’imposera inéluctablement en France, au regard du manque de neige, du réchauffement des températures, des évolutions du tourisme de masse et de l’impossibilité de croître indéfiniment dans un monde fini. Miser sur l’adaptation technologique et la transformation des pratiques de « neige » en pratique sur terre est un raisonnement de type « performant » qui n’a pas intégré les turbulences du monde contemporain. Si les chiens de traîneau sont de plus en plus anachroniques en France (Ce qui est contradictoire avec le taux de remplissage des structures professionnelles qui peinent à répondre à toute la demande) l’injonction d’un climat qui se réchauffe et de lieux de pratique qui disparaissent doit cependant tenir compte de l’engagement des professionnels et de leurs proches dans un mode de vie, d’une activité économique impliquée localement auprès de partenaires ainsi que de l’existence de chiens qu’il faut nourrir et soigner quotidiennement. Une des voies, si on n’exclut celle d’une fuite en avant pour ne surtout rien changer, est bien sur de délocaliser son activité à l’étranger dans des contrées plus froides. L’autre, plus risquée mais ouverte sur l’avenir, est de miser sur les qualités relationnelles des chiens d’attelage pour soutenir une transition vers d’autres modalités d’être au monde, pour les explorer et les partager. Il s’agirait aussi de transmettre et donc d’asseoir l’activité sur une pédagogie du lien et du temps long et non sur une consommation de la motricité canine et le court-termisme des diplômes et des médailles.
Le chien d’école : Un chien robuste donc coopératif
Créateur, passeur, facilitateur d’expériences sensibles, immergé dans un type de pédagogie où on lui reconnait la capacité d’aider, voire d’enseigner, le chien d’école est un fabuleux auxiliaire pour développer la coopération au sein des groupes et l’expression des émotions. Il autorise aussi à regarder l’attelage de traîneau non comme un ensemble d’éléments séparés qu’il convient d’optimiser (Chiens, engin, musher, environnement) mais comme un tout interdépendant. Chez les Inuits, avant la période tragique de sédentarisaton imposée par le gouvernement canadien au xxè siècle, un mot unique décrit comme un tout l’homme qui voyage en traîneau avec ses chiens : le qimuksiq (Thérrien, 1987- cité par Francis Lesvesque*).
Un attelage coopératif permet de se dépasser avec l’aide des autres humains et non-humains. Un attelage compétitif ne permet juste que de dépasser les autres.
La capacité du chien d’école à vivre des situations multiples, fluctuantes et incertaines dans les relations, à s’engager dans son travail de façons variées, dans des environnements inconnus, à répondre à l’urgence ou la demande d’aide du musher et de ses élèves constituent des caractéristiques de robustesse. Ces caratéristiques sont assez proches de ce qu’on attend parfois d’un excellent leader (chien de tête) d’attelage. Cependant, dans un groupe de chiens d’école ces qualités sont recherchées chez tous, quelle que soit la position à l’attelage.
L’éducation du chien robuste est d’abord le résultat d’un « vivre avec » et non d’une succession d’exercices ou d’entraînements. La coopération devient le moteur et l’objectif dans l’engagement dans un travail commun. Cette coopération cherche à nourrir son lieu et ses liens, son territoire et ses habitants.
Sources :
Bragg J.Jeffrey https://seppalasleddogs.com/seppalakennels/jeffreys-articles.htm
Hamant Olivier, 2023« Antidote au culte de la performance » (tracts-Gallimatd N°50)
Levesque francis,(anthropologue spécialiste de la question de l’Arctique canadien et du qimmik
Vicart Marion, 2014 « Des Chiens Aupres des Hommes. Quand l’Anthropologue Observe Aussi l’Animal » (édition Pétra)
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