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Le traîneau à chien est-il un sport de glisse?

« On était tous aux anges[…] on remplissait notre noble et unique fonction dans l’espace et le temps, j’entends le mouvement. »

J. KEROUAC

Le mushing français et ses origines dans la contre-culture sportive

Plus haut, moins vite, moins fort

Just for fun or just for win ?

Le vainqueur et le finisher

Le « musher-trappeur », une espèce en voie de disparition

La figure de l’athlète

Des atouts et des enjeux

L’enlisement des fédérations sportives

Mixité et intergénération

La place du chien sportif

Lutter contre la privatisation des lieux de pratique

Esthétique de l’attelage : Une maison commune ?

En conclusion

  1. Le mushing s’est développé en France dans un esprit de contre-culture sportive.
  2. La compétition en traîneau s’est imposée petit à petit comme mode unique d’expression et d’existence de la pratique sportive en France depuis 30 ans.
  3. La relation très forte et positive qui lie les chiens et leurs mushers, fondement de la pratique sportive et de son intérêt, ne parvient pas à s’incarner en France autrement que sous l’angle de la compétition qui la détourne de sa valeur et de sa fonction de « qualité de la vie à conserver » pour servir uniquement une motricité mise en spectacle et en chiffres.
    -Le système de valeur du sport historique, issu de l’ère industrielle, est aujourd’hui inadapté aux enjeux environnementaux et sociétaux.
  4. Le mushing est porteur de valeurs d’entraide et de coopération.
  5. Le chien dans les sports de traîneau est regardé principalement à travers sa fonction d’attelage.
  6. Le bien-être du chien d’attelage est d’abord envisagé sous le prisme de la santé en vue d’une performance chiffrée.
  7. La relation à l’animal est un enjeu majeur. 60 % des espèces animales terrestre ont disparu en une décennie.
  8. La relation au chien est le pillier de la pratique est constitue »une maison commune » qui réunit les différents type de pratique d’attelage

Alain LORET– Génération Glisse « Dans l’eau, l’air, la neige…la révolution du sport des « années fun »- Editions Autrement-Série Mutations N°155-156-1995

Yves BESSAS– La glisse- FAYARD-1982

Panacée est la déesse de la thérapeutique, des médicaments, du traitement des maladies, elle se préoccupe de ce qu’il faut faire quand le mal est là. Hygiée incarne, quant à elle, l’attitude qui consiste à «  tout faire pour ne pas tomber malade. Elle s’intéresse à l’ordre normal, c’est-à-dire à notre moderne prévention » ( Marc Renaud, 1991). )

Dominique LESTEL-Les origines animales de la culture-Flammarion-2001

Le DIY (Do it yourself) et le mushing

Symptômes de ce qui semble être une dérive et une évolution mortifère, le mushing français se perd dans le consumérisme et les valeurs de la compétition. Ces deux tendances l’orientent vers la dépendance aux experts et vers l’entretien de valeurs d’opposition et de destruction symbolique de l’autre.

Pourtant, il n’y pas si longtemps, le musher était un adepte du DIY (Do it yourself), construisant, rénovant, bricolant avec ses moyens et son réseau toutes sortes d’engins à roues, ses traîneaux, ses harnais, ses colliers, sa stake-out, sa remorque etc… Comment expliquer que cette tendance à faire soi-même, dans une sorte de philosophie de la débrouillardise et de la bidouille, tend à disparaître au profit d’un consumérisme de plus en plus évident ?

Des mushers sur-équipés pour du traîneau spectacle

Pour qui a connu le mushing des années 80 jusqu’à celui du début des années 2000, un constat saute aux yeux : L’hyper équipement actuel des participants aux courses de traîneau du novice au confirmé.

Les stake-out* des courses de traîneau à chiens sont à ce titre très significatives et permettent de passer en revue cette évolution : tenue vestimentaire d’alpinistes, camping-cars ou fourgons, camions ou bus tout aménagés, remorques et traîneaux dernière génération, 4×4 avec cellules réalisés par des professionnels, kart d’entraînement et de course uniformisés, trottinettes et vélos haut de gamme etc… A cela, on peut ajouter aussi la cohorte des accompagnants : handlers, masseurs, ostéopathes et même vétérinaires pour certains en plus de ceux de l’organisation de la compétition. La « Team » vient qualifier l’équipe homme-chiens comme dans les sports professionnels.

Concernant les matériaux utilisés, le bois est de moins en moins présent alors qu’il constitue une des matières premières de l’avenir. L’aluminium et le plastique ont envahi un sport qui surfe en permanence sur des valeurs écologiques et n’a que peu d’exigences en ce domaine.

Un regard sur le contrat de délégation signé par la fédération française en 2023 (FFST) auprès du Ministère des sports permet de connaître les ambitions sur l’écologie et le développement durable. Ils sont peu ambitieux et répondent plutôt aux cahiers des charges du Ministère qu’à une volonté d’être un acteur engagé dans une démarche prospective en matière d’écologie et développement durable. D’autre part, le nombre de courses de traîneau tend à diminuer comme le nombre des participants ; mise à part sur quelques évènements phares qui se sont imposés aujourd’hui comme les références en terme de mushing français et qui utilisent de plus en plus les codes du sport spectacle.

La raréfaction des courses sur neige, la diminution des pratiquants, l’engouement pour les pratiques dites de « mono-chien » (cross canin, VTT ), la disparition des lieux de pratique, le réchauffement climatique, l’enneigement aléatoire et de plus en plus en court, tout comme l’augmentation de la mise sur le marché de professionnels formés (DEJEPS ou titre musher) devraient inciter à « planter l’ancre à neige » et à réfléchir collectivement à l’avenir d’une pratique sportive en sursis.

Des compétences déléguées

La niche de création et vente de matériel d’attelage canin a vu se développer des entreprises qui ont participé à un changement et des améliorations certaines dans le matériel utilisé par les mushers. Proposer son expertise et ses compétences techniques par la création de matériel adapté à une pratique est un processus qui va de soi. La création d’une entreprise support de cette expertise a du sens pour certains mushers dans le cadre d’une activité professionnelle plurielle.

On peut aussi noter que la création de la filière professionnelle (Brevet d’état fédéral, DEJEPS attelage canin et Titre musher) n’a jamais intégré de manière sérieuse cet aspect essentiel de la pratique que constitue le bricolage, la réparation, l’entretien, la rénovation du matériel qui demande des compétences dans de multiples domaines (maçonnerie, menuiserie, soudure, couture, mécanique …)

Peu à peu s’est installé une délégation des compétences qui touche aujourd’hui des basiques de l’activité : Faire sa ligne de trait, créer sa stake-out, recoudre un harnais, construire ou réparer son traîneau. L’artisanat des premières décennies du mushing français cède la place progressivement à une standardisation du matériel et à la multiplication des « experts -revendeurs ». Cette évolution semble plutôt ressentie par les mushers comme une amélioration car le matériel passe par des processus professionnels et semblent répondre aux attentes de la discipline.

Cependant, le contexte dans lequel cela s’est engagé a créé une dynamique d’un « toujours plus », d’un « toujours mieux » qui, peu à peu, a posé les normes de la pratique, a défini des seuils d’acceptabilité du matériel et a engagé les concepteurs dans des voies parfois surprenantes, comme récemment la création de kart à chiens à assistance électrique.

Bien évidemment, cette économie génère aussi un marché de l’occasion qui permet au moins fortunés de bénéficier de matériels usagers mais de bonne facture. Ce matériel d’occasion réactivent malgré eux un système de réparation, d’entretien de ce qui a déjà vécu et mobilise les compétences et les réseaux locaux.

Faire du traîneau en jean ?

Il semble que peu à peu les codes de la compétition aient emprisonné la pratique. Celle-ci est traversée de conditions implicites déterminant la manière dont on va entrer et évoluer dans l’activité sportive. Ces règles constituent une norme sociale à laquelle le débutant est contraint d’adhérer pour appartenir au groupe et pour être identifié par ses pairs. Il partage ainsi des habitudes, des valeurs, des croyances, un matériel, un habillement qui contribuent, au-delà de rassembler le groupe, à exercer un contrôle social.

Yannick Belmont

Il est à peu près certain qu’une grande majorité des mushers français sont plus traversés par les rêves de grands espaces et de courses solitaires avec leurs chiens que par ceux de podiums et d’organisation bruyante des courses. Toutefois, la tribu mushing a adopté les codes du compétiteur qui culmine dans la figure du « musher-ingénieur » ou du « musher éducateur-sportif » et impose une vision de la pratique.

Bien évidemment, faire une course avec un jean, des guêtres et un traîneau en bois est toujours possible et les chiens ne le reprocheront pas à leur musher. Cependant, la communauté du mushing saura à sa manière rappeler les règles implicites du groupe.

(Dans un autre article nous verrons comment les années 2000 du mushing français se sont inscrites dans une « purge » de l’activité pour évacuer l’image du « musher trappeur » au profit du « musher ingénieur » et de la transcription chiffrée de la performance)

Do It Yourself

Bien sur, comme autant de contre-exemples, on trouve encore quelques « Géo Trouvetou» qui construisent eux-mêmes leur matériel, rénovent, bricolent, inventent, réparent et s’inscrivent dans la filiation des pionniers français où les sports attelés se mêlait à l’artisanat, la bricole et la débrouille. Ils participent à un mouvement plus vaste et très actuel le DIY (Do It Yourself) qui se veut, dans ses franges les plus engagées politiquement, une mise en pratique de l’écologie et de l’anticapitalisme luttant contre la production infini de matériel et la consommation. On trouve les racines de ce concept dans les mouvements de contre-culture des années 1950, puis ensuite dans la culture punk des années 70.

Kart « fabrication maison »

Philosophie de l’action, le DIY envisage la question du manque de moyens, des surplus de matière, d’objets ou de structures comme une richesse. Il s’agit de ne plus déléguer ce que l’on peut faire soi-même en se passant des spécialistes et des experts.

Cependant, «le savoir artisanal est un savoir du temps long » (Schwint*) qui demande de la sagacité, de la souplesse d’esprit, de la débrouillardise, des habiletés diverses et de l’expérience. Or la société contemporaine se caractérise, entre autre, par son accélération dans tous les domaines de l’existence et par sa liquidité, c’est à dire sa capacité à se désengager rapidement, à assumer l’éphémère, à zapper, à surfer l’incertitude et vivre le présent (Zygmund Bauman*). Notre culture de la consommation nous a ainsi appris le vieillissement rapide des choses (obsolescence programmée) et leur remplacement immédiat par un acte d’achat du même objet ou d’un modèle encore plus perfectionné.

Le Loup et le chien

Comme une coque de noix sur un océan, la planète mushing semble n’avoir rien à dire du monde qui l’entoure. Bien confortablement installé dans son traîneau de nanti européen, le musher français consomme du matériel qu’il ne construit plus, comme il consomme aussi la motricité de ses chiens dont il cherche toujours les limites. Le modèle fédéral du sport historique lui a construit une superbe niche, le promène avec un collier douillet, le nourrit d’excellentes croquettes pour l’encourager à monter sur un podium et entretenir la « fable olympique » .

le Loup, d’une autre fable de Jean de la Fontaine pourrait lui répondre stupéfait :

« Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas

Où vous voulez ? Pas toujours, mais qu’importe ?

Il importe si bien, que de tous vos repas

Je ne veux en aucune sorte,

Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor.

Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor. »

(extrait de : Le loup et le chien)

  • Stake-out : Longue chaîne fixée entre deux piquets permettant l’attache des chiens avant un départ en atellage. Lieu où sont regroupés les mushers, leurs chiens et leurs véhiculent pedant une course de traîneau.
  • Didier Schwint Savoir artisan de fabrication et détournement du temps- Sociétés 2002/2 (no 76), pages 33 à 48
  • Zygmund Bauman « La vie liquide » 2013-Hachette Pluriel

Héritiers de l’Iditarod ou du docteur Delort ?

En 1952, en France, un médecin du Cantal sauve des chiens d’une expédition polaire et utilise leur capacité de travail en milieu difficile pour visiter ses patients dans la montagne cantalienne. Depuis 1973, l’Iditarod, la course mythique de chiens de traîneau, célèbre chaque année le sauvetage en 1925, par une chaîne de solidarité de mushers, d’une population d’Alaska que décimait la diphtérie. Ces deux évènements, distants dans le temps et l’espace ont des similitudes. Cependant, un examen des valeurs qui sous-tendent leurs prolongements contemporains montre leurs divergences voire leur opposition.

Dans un contexte de crise environnementale, de remise en cause du modèle d’une croissance infinie et de la nécessité de réussir l’épreuve de la solidarité dans tous les compartiments de l’existence, une question pourrait bien se poser aux mushers du 21è siècle : De qui souhaitez-vous être les héritiers ? Du vainqueur de la dernière Iditarod ou de Maurice Delort, musher et médecin du Cantal ?

25 chiens de traîneaux menacés d’être abattus

En 1952, les journaux français font paraître une annonce peu habituelle. Un appel est lancé à tous les français pour l’adoption de 25 chiens de traîneau mis à la retraite prématurément et menacés d’abattage par le gouvernement français. Ces chiens étaient les compagnons d’expédition depuis trois ans de l’équipe du « Commandant Charcot », navire en mission d’exploration en terre Adélie, dans l’Antarctique oriental. Il y eut plus de trois milles candidatures d’adoption.

Björn et Yfaut , de l’Antarctique au Cantal

Parmi eux, deux chiens du Groenland, Björn et Yfaut furent adoptés par le docteur Maurice Delort. Dès leur arrivée en terre auvergnate, ils furent attelé au traîneau du médecin pour visiter ses malades lorsqu’en hiver les chemins cantaliens devenaient impraticables avec sa Jeep.

Björn et Yfaut- Antarctique 1952

« Björn et Yfaut », est le titre d’un film de Mario Maret (1955) (cliquer ici), qui nous montre pendant 18 minutes, l’histoire de ces deux chiens, de leur naissance dans l’Antarctique aux montagnes du Cantal, ainsi que leur quotidien avec le « médecin des neiges ».

Ce court métrage pose en toile de fond des problématiques bien actuelles, liées à l’accès aux services publics, aux « déserts médicaux », aux chaînes de solidarité. Le film est aussi le témoignage d’actions d’entraide, dans lesquelles la relation bienveillante de l’humain à d’autres vivants trouve sa pleine expression.

Des analogies avec la « course au sérum »

Cette archive autorise un parallèle avec la célèbre Iditarod, grande course mythique de traîneau à chiens. L’Iditarod commémore ce qu’on appela « La course au sérum ».

Des points communs entre ces deux évènements peuvent être identifiés. J’en retiendrai trois :

1- Les chiens d’attelage coopèrent avec les humains qui utilisent leur force motrice pour différentes tâches (Sur la base en terre Adélie pour les expéditions scientifiques ou en Alaska pour se déplacer, distribuer le courrier, suivre les lignes de trappe, acheminer du matériel, des médicaments etc…)

2- Le souci de l’autre et le soin (empathie dans le sauvetage des 25 chiens de traîneau, dans le sauvetage d’une population d’un village isolé d’Alaska, dans la nouvelle vie et dans l’utilité proposé par le docteur Delort à des chiens d’expédition, apport en situation hivernale de la médecine dans des lieux isolés du Cantal).

3- Le déploiement de la relation homme-chien au service de valeurs humanistes, de valeurs d’entraide et de coopération qui dépassent le cadre strictement utilitaire

Des trajectoires divergentes

Des divergences dans les prolongements contemporains de ces évènements sont aussi à souligner. Si les deux histoires mettent en jeu des représentations sociales et des valeurs communes, elles n’ont pas eu les mêmes trajectoires ni les mêmes impacts dans l’histoire proche. La course au sérum est commémorée par la plus grande compétition de traîneau de longue distance au monde (L’Iditarod) et elle constitue un évènement national en Alaska. L’action du docteur Delort, quant à elle, n’est aujourd’hui évoquée que de façon marginale pour illustrer l’état de la médecine française rurale au milieu du xxè siècle. Sa filiation directe avec la création des services d’urgence dans le Cantal et le secours en montagne vient d’être montrée dans un livre de Marie Varnieu (« Secours en montagne »2023).

L’Iditarod, vraiment solidaire ?

Un regard sur les valeurs portée par l’Iditarod nous plonge immédiatement au coeur d’une ambiguïté. On pourrait la résumer ironiquement ainsi : L’Iditarod est-elle une course solidaire ?

La course la plus célèbre et qui constitue une sorte de Graal dans le monde du chien de traîneau est l’Iditarod Trail Sled Dog Race. Cette course s’appuie sur le tracé de ce qui fut nommé la « course au sérum» ou « la grande course de la miséricorde » qui n’était pas une compétition mais une organisation à vocation humaniste pour sauver la population d’un village d’Alaska qu’une épidémie de diphtérie décimait. Cette chaîne de solidarité d’Anchorage à Nome pour apporter en traîneau à chiens le précieux sérum est un évènement porteur de valeurs fondamentales aujourd’hui : solidarité des populations, solidarité entre mushers, coopération avec des animaux non humains, empathie à l’égard d’une population isolée et malade.

La célébration de cet évènement qui s’est déroulé en 1925 s’organise quarante ans plus tard par la mise en place d’une course de traîneau en 1967, mais son lancement véritable date de 1973. Cette course très difficile n’autorise aujourd’hui que deux types d’objectifs : La finir ou la gagner. Le format et les règles de la course permettent à la majorité des mushers engagés, sans espoir de gagner, de se lancer un défi personnel dans une aventure motrice et perceptive dont l’intérêt collectif est quasi nul. D’autre part, le musher ne peut recevoir d’aide extérieure pour établir les règles d’une stricte égalité entre les participants. L’égalité des chances du modèle compétitif isole de fait les participants. Autrement dit, à partir d’un évènement fondateur qui pouvait célébrer des valeurs de solidarité humaine et d’entraide inter-espèces, le message est détourné en promouvant la compétition et la mise en spectacle de la consécration d’un dieu annuel du mushing.

Björn et Yfaut les nouveaux héros du mushing contemporain

L’histoire de Björn, Yfaut et du docteur Delort a une grande force symbolique, au regard des enjeux climatiques, des défis environnementaux et des évolutions géopolitiques qui remettent en cause l’idée de progrès et de croissance infinie de l’occident.

De l’expédition en Antarctique jusqu’aux visites hivernales du docteur Delort dans les fermes reculées du Cantal, des canaux de solidarité et d’entraide sont mobilisés, des solutions alternatives originales se développent sans jamais briser le lien entre l’homme et l’animal. Les modalités d’un « faire ensemble » au service des autres s’esquissent. Elles créent de l’espoir et des perspectives dans des situations potentiellement dramatiques. Le compagnonnage homme-chien contribue aux soins de la communauté.

Maurice Delort en 1955 avec Björn pour rejoindre des patients isolés (Cantal)

A ce titre, deux images me paraissent bien représenter le fossé entre ces deux modes d’être au monde. Le musher, victorieux de l’Iditarod, lève le bras de la victoire, non parce qu’il a sauvé une population de la diphtérie mais parce que sa première place le hisse au rang des dieux du stade.

Le médecin du Cantal, quant à lui, serre la main de son patient. Ses chiens l’attendent patiemment devant la porte, il allume sa frontale et s’efface dans la nuit.

Maurice Delort et son attelage sur les plateaux du Cantal (1955)

Une question pourrait se poser aux mushers du 21è siècle : De qui souhaitez-vous être les héritiers ?

Des automates insouciants qui montent sur les premières marches des podiums et entretiennent malgré eux des logiques de destruction, de domination et des valeurs guerrières ? Ou des hommes qui tracent discrètement des sillons de solidarité entre humains et non-humains ?

https://www.dailymotion.com/video/xz3bdq

chien guide, passeur et accordeur

La sensation est première.

Atelier de relation proximale

Souvent, nous refusons ce que nous venons de ressentir, au lieu de l’accueillir. Ce refus est une blessure que l’on s’inflige, que l’on masque de mille manières en ajoutant des couleurs, des strates à la sensation.

Nous jugeons ce que nous ressentons et parfois nous jugeons l’autre présent à cet instant. Par tous ces ajouts, ces égarements, c’est la fuite qui s’exprime. Il faut donc revenir régulièrement à la vérité première de la sensation, écouter son corps en le réintégrant en permanence.

Le contact et la présence du chien nous y invite particulièrement et l’activité d’attelage nous l’apprend. C’est bien d’apprentissage dont il s’agit.

Le chien nous guide, nous propose de mieux le connaître. L’air de rien, il questionne, il provoque la rencontre et invite à la relation. Vous arrivez ? Il accueille. Il inscrit le moment du partage dans une totale présence. Par ses capacités physiques et motrices, son intelligence émotionnelle, l’attention particulière qu’il porte à l’humain, il nous apprend à nous déplacer autrement, efficacement, en harmonie, tous sens en éveil, présent au monde qui nous entoure.

La vie avec un chien, passe par la nécessité d’une prise de contact qu’il faut entretenir et ménager. Il faut aussi emménager ensemble(homme et chien) dans un espace de vie commune, sous peine de passer à côté de quelque chose. Bien souvent, c’est le chien qui fait le chemin, qui s’adapte à nos désirs, nos inconséquences, nos humeurs. Mais toujours, il guide visant un accordage émotionnel et relationnel.

Lorsque l’humain décide de faire un pas de côté, se décentrant l’espace d’un instant de ses préoccupations, de ses peurs et de ses préjugés, lorsqu’il abandonne son avidité de maîtrise, une voie s’ouvre et le chien nous montre un passage. Son rôle de passeur est connu depuis toujours. L’homme dans ses transes, souvent par la danse (mouvement), en imitant l’animal, permet le passage d’une perception du réel à une autre. Le passage opère une métamorphose, un changement qui est aussi un abandon, une mue, une re-naissance.

L’attelage, la marche, la course avec un ou des chiens permet de vivre un mouvement accordé, rythmé et relié. Il nécessite une véritable rencontre avec l’autre non-humain, une capacité à donner du sens et à être affecté dans la relation avec un autre que soi.

La rencontre avec l’Autre doit être accueillie le plus consciemment possible au sein d’une relation qui place l’hospitalité comme fondement. Ainsi, il est nécessaire de créer en soi un espace de retrait, d’aménager en soi un lieu d’accueil pour l’autre, le chien, le partenaire.

Dans la relation le chien a son mot à dire. Il faut l’écouter dans son propos de chien et de compagnon. Seule manière de ne pas trahir une coopération vieille d’au moins 15 000 ans.

« On n’accède pas au sens en produisant des effets sur le réel mais en autorisant le réel à produire des effets sur soi »

Saverio tomasello « oser s’aimer »

La cani-randonnée « connected », un doux rêve…

 Le musher, neurones dans le guidon de son GPS, dans ses extases de podium, dans ses rêves d’explorateur et le chien impliqué dans un effort frôlant l’hallucination cohabitent. Peut-être collaborent-ils ? Mais il faudrait qu’ils aient un objectif commun. On le suppose, on l’espère, on l’appelle. Et rien n’est moins sûr… 

 Comment une équipe homme-animal peut-elle fonctionner sur des motivations si éloignées sans que l’un des protagonistes s’amputent de quelque chose ?

          Bien souvent, c’est le chien qui fait le chemin, qui remonte à la source d’un partage possible et renonce à une partie de lui-même. Ce n’est pas un calcul, c’est un héritage. Le chien doit aller vers l’homme,vers ses désirs, ses rêves, vers ses lois et responsabilités. Il s’accommode aussi de toutes ses névroses, de ses violences, de ses crimes et de sa tendresse. Ce n’est pas le contrat de départ, vieux de plus de trente mille ans, fondé sur l’entraide et la coopération. Depuis le XIX è siècle et les ex-croissances du darwinisme, on tente toujours de nous faire croire que la vie est une lutte permanente dans laquelle les plus forts, n’agissant que dans leur propre intérêt, assurent le progrès de la société. Hors, le vivant dans ses manifestations les plus variés indique le contraire  (Pierre Kropotkine- « L’entraide »)

Et l’être humain, animal pro-social, est peut- être le plus coopératif du monde vivant. Comment son vieux compagnon de route, le chien, pourrait-il ne pas avoir évoluer en ce sens ?

« Ursus était un homme, homo était un loup… »
« L’homme qui rit »-Victor Hugo

A travers une approche valorisant l’intention, les sensations, la respiration, la rythmique du déplacement du chien, sa présence au monde qui l’entoure ainsi qu’un mode de communication plus intuitif avec lui, la cani-randonnée « connected » vous accompagne dans un petit pas de côté, vers un accordage émotionnel. L’espace d’un instant, quelque chose nous échappe, loin des calculs, du mental, des projets, des points sur » la liste des choses à faire » , il y a présence à soi, à la nature, à l’autre, le canidé. Il n’est ni husky, alaskan, eurohound ou champion bardé de médailles en chocolat. Il est là. Dans ce binôme homme-animal, la longe élastique relie sans aliéner, le chien a son « mot à dire » et impose l’écoute ou la fin de nos bavardages incessants. De doux naïfs les « la grange des huskies » ? Peut-être…